Après 20 ans de volonté, et une seconde stratégie nationale arrivant à son terme, le bilan reste le même en France : la biodiversité est toujours en danger. Face à ce constat peu encourageant, 14 ONG ont remis au gouvernement leur « guide pour agir ».
Un 20ème anniversaire un peu spécial, ce 22 mai 2020. Celui de la journée mondiale pour la diversité biologique, traditionnellement « fêté » par les Nations-Unies, mais quelque peu perturbé par la crise sanitaire. Un jour à marquer d’une pierre blanche. Ou plutôt, d’un livre blanc. Un document de 64 pages en l’occurrence, intitulé Pour que vive la Nature et signé par 14 associations agissant pour la biodiversité. Remis symboliquement ce jour précis à la ministre de l’écologie Élisabeth Borne, le document dresse un constat sans appel : la stratégie mise en place par le gouvernement n’a pas porté ses fruits.
« Il est aujourd’hui clair que l’objectif global retenu en 2010, mettre fin à l’érosion de la biodiversité, ne sera pas atteint. »
« Mettre fin à l’érosion de la biodiversité ». Telle était l’ambition de la France, il y a bientôt 16 ans de cela, en adoptant sa première Stratégie Nationale pour la Biodiversité (SNB). Après l’adoption de la Convention pour la Diversité Biologique en 1992, la France se fixe en 2004 l’objectif d’enrayer la perte de biodiversité sur son territoire à l’horizon 2010. Un objectif « ambitieux », qui ne sera finalement pas atteint. « Les actions n’ont pas été d’une ampleur suffisante pour faire face aux pressions qui s’exercent sur la biodiversité », reconnaîtra le gouvernement dans son rapport. Un échec qui devait servir de leçon, et permettre d’atteindre l’objectif pour 2020. Force est de constater qu’il n’en sera rien. Ce 22 mai 2020, un article paru sur le site du ministère de l’économie et des finances suppose que « l’objectif phare » ait été reporté à 2030 par le Plan Biodiversité de 2018. Si le document mentionnait bien l’année 2030, elle n’est en revanche pas directement associée à l’objectif de mettre fin à l’érosion de la biodiversité. « Ses 6 axes stratégiques, 24 objectifs et 90 actions ne font jamais référence aux 6 orientations stratégiques et aux 20 objectifs de la SNB2 », peut-on d’ailleurs lire dans le livre blanc. Un lapsus ou une révélation de la part du gouvernement, annonçant d’ores et déjà que le succès attendu ne sera pas au rendez-vous. Un échec qui raisonne également dans le guide signé par l’Aspas, le WWF ou encore France Nature Environnement : « Il est aujourd’hui clair que l’objectif global retenu en 2010, mettre fin à l’érosion de la biodiversité, ne sera pas atteint. »
« Face à ce constat de l’érosion du vivant, nos sociétés devraient anticiper, alors qu’elles sont sur la défensive, comme nous le montre cruellement la crise sanitaire de 2020. »
Si la situation économique et sanitaire actuelle est inquiétante, celle de la biodiversité l’est plus encore. Un effondrement du vivant, dans le monde mais aussi en France, qui « figure parmi les dix pays abritant le plus grand nombre d’espèces menacées au monde », relève le document. Mis en cause par les ONG, une destruction des habitats et une artificialisation des sols, qui repart à la hausse après 5 ans de baisse, mais aussi l’utilisation des pesticides, toujours plus importante. Les oiseaux figurent parmi les plus grands perdants face à l’activité humaine. Et leur situation continue de se dégrader : « de 79 espèces en 2011, la France comptabilise 90 espèces d’oiseaux menacées aujourd’hui ». Une hausse du nombre d’espèces menacées, associée à une importante chute des populations d’oiseaux dans les milieux agricoles (38% depuis 1989). « Face à ce constat de l’érosion du vivant, nos sociétés devraient anticiper, alors qu’elles sont sur la défensive, comme nous le montre cruellement la crise sanitaire de 2020. » Pourtant, dès 2014, le gouvernement affirmait qu’un bon nombre des 20 objectifs d’Aichi, intégrés dans la stratégie nationale, seraient complétés. Parmi ces objectifs, celui de protéger au moins 17% des zones terrestres, a bel et bien été atteint. Avec presque 30% du territoire concerné, on pourrait même y voir une victoire, les associations ayant relevé que dans ces zones protégées « les oiseaux communs y déclinent moins qu’ailleurs ». Mais les mesures de protection y sont aussi largement inégales : « la protection « forte » ne représente encore que moins de 2 % du territoire terrestre métropolitain » soulignent les ONG.
« Il ne s’agit plus d’opposer l’économique, le social et l’écologique mais bien de proposer un système-monde qui intégrerait à part égale ces trois dimensions. »
Une nouvelle stratégie doit donc être en place, sur fond de crise économique et sanitaire d’ordre mondiale. C’est dans ce cadre, que les 14 ONG ont orienté leurs propositions. « Cette crise sanitaire révèle donc une crise bien plus globale, systémique » ayant autant d’impact sur l’activité humaine, que sur la nature elle-même, dans des mesures parfaitement opposées : là où l’humain dépérit, la nature, elle, s’épanouit. Un constat simple mais douloureux, qu’il faudrait ramener à l’équilibre. « Une alliance entre les humains et le reste de l’écosphère doit être centrale dans les stratégies de sortie de crise […] Il ne s’agit plus d’opposer l’économique, le social et l’écologique mais bien de proposer un système-monde qui intégrerait à part égale ces trois dimensions. » Une biodiversité à ramener au cœur des débats et des décisions donc. Non plus comme un problème à contourner, mais comme une solution à l’élaboration d’une société nouvelle, qui s’adapte à son environnement, au lieu de le transformer à sa guise. « La préservation et la restauration [de la biodiversité] sont une partie de la solution pour innover, nous protéger et créer des emplois différents, nouveaux et locaux. »
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